Jean d'Ormesson - Tout le bonheur du monde est dans l'inattendu
Comme chaque année pour le réveillon, toute la famille devait se retrouver chez mes grands-parents.
Nous étions si nombreux que la perspective de trouver un cadeau pour chacun devenait fastidieuse et surtout ruineuse. De plus, les cadeaux étaient souvent des babioles sans intérêt qui finissaient au grenier. Ma cousine Edith, la créative de la famille, eut une idée géniale. Chaque adulte n’achèterait qu’un seul cadeau, d’une valeur de 50€ par exemple et ce cadeau devrait convenir à n’importe quel autre adulte de la soirée. Un tirage au sort serait organisé au moment de l’apéritif selon un processus à définir mais l’idée maîtresse était là. A part ma tante Cécile qui exprima son désaccord haut et fort - elle serait en effet privée de nous offrir ses sempiternelles aquarelles réalisées par les handicapés de sa paroisse - tous les autres adoptèrent l’idée. Ce serait un test et nous verrions si ce test s’avérait concluant.
Le fameux soir venu, chacun déposa son cadeau au pied du sapin. Les enfants furent chargés de coller un numéro sur chaque paquet. Nous rodions, mine de rien, autour de l’arbre pour essayer de deviner qui avait fait ce paquet-ci, que pouvait contenir ce paquet-là… Tout le monde avait repéré le cadeau apporté par tante Cécile avec son papier à fleurs et son ruban mauve, le numéro 7, à éviter, absolument. Edith avait préparé le tirage au sort, comme convenu pendant l’apéritif. Les enfants nous présentèrent un vase contenant des papiers pliés en 2 portant chacun un numéro. Puis, à tour de rôle, en commençant par le n°1, nous devions lire la devinette inscrite sur papier. Une fois la solution collectivement trouvée, les enfants apportaient alors le cadeau correspondant que nous déballions devant l’assemblée, en riant de plus en plus fort au fur et à mesure que les numéros avançaient et que le champagne faisait son effet. Chacun d’entre nous avait fait un effort de créativité pour son cadeau, c’était très réussi.
Qui eut le paquet n°7 ? Et bien, ce fut moi. Je dénouais le ruban lascivement, telle une stripteaseuse, les enfants couraient autour de moi et les rires fusaient. Je déchirais le papier et j’observais enfin le cadeau de tante Cécile. C’était un album de photos, de très belles photos de toute la famille. Certaines étaient en noir et blanc car elles étaient très anciennes, d’autres étaient en couleurs bien sûr. Personne n’avait été oublié. Sous chaque photo, ma tante avait écrit un petit commentaire, une date, des noms, un lieu. Elle avait effectué un énorme travail de mémoire, je n’en revenais pas. J’étais comblée par ce cadeau. L’album passait de mains en mains joyeusement, les questions fusaient, les anecdotes ressortaient. Nous riions de bon cœur en cette soirée de fête et tout le monde s’accorda à dire que c’était là le plus joli cadeau. Tante Cécile, d’abord surprise par le succès de son présent, ria également beaucoup. C’était un plaisir de la voir heureuse comme tout.
Il était temps de passer à table et le repas fut très gai. L’expérience du cadeau unique était concluante et nous décidâmes d’en faire une tradition familiale. Edith, encore elle, proposa d’ajouter l’année prochaine « une contrainte » pour corser la chose. Et c’est tante Cécile qui proposa l’idée que chaque cadeau devrait en plus du prix de 50€, comporter un détail d’une couleur spécifique, mauve par exemple. « Ah non, pas mauve ! » avons-nous crié en riant. S’en suivi un débat et c’est la couleur rouge qui l’emporta.
Catherine 06