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L’homme-sandwich.

Dans le restaurant bondé, bruyant, résonnant du cliquetis des couverts dans les assiettes, et des commandes lancées à voix haute aux cuisiniers par les garçons pressés qui couraient dans tous les sens,

je trouvais dans un petit coin de la salle la dernière place face à un homme qui détaillait longuement le menu. Il semblait terriblement indécis, perdu, ne sachant que choisir… Je le soupçonnais d’être très mal dans sa peau.
Le saluant courtoisement, je m’asseyais. Il me regarda un instant comme si j’étais un extra-terrestre… avant de replonger son nez dans la carte grand-ouverte devant lui. Un garçon s’approcha. L’homme ne le vit même pas, trop préoccupé… Quant à moi je choisis immédiatement la blanquette de veau et un verre de bon Bordeaux.
Enfin mon voisin se décida et commanda un… sandwich jambon/fromage !!! J’en fus très surpris…
« Il semblerait, monsieur, que vous ayez eu beaucoup de mal à faire votre choix ? » lui dis-je doucement…
« Ne m’en parlez pas ! C’est un gros problème pour moi !! À cause de mon métier... »
« Ah bon ? Et pourquoi ? »
« Si vous saviez… Je suis à longueur de journée coincé entre deux propositions opposées, et j’en souffre énormément… Mais il me faut bien accepter cette condition si je veux vivre  à peu près correctement!  Je suis Homme-Sandwich… Je déambule huit heurs par jour sur les grands boulevards, aux abords des grands magasins, une pancarte devant, une pancarte derrière…Les deux étant totalement contradictoires ! Devant, c’est positif, derrière négatif !!!»
« Vous semblez dire que votre vie est très pénible… Toutefois, j’ai du mal à croire que vous ne pouvez y remédier ! »
« Cet état fait que je suis plongé dans un doute permanent. Je ne sais plus où j’en suis... »
« Donc, si je vous crois, et si je me fie à votre récit, cette situation vous est particulièrement désagréable, n’est-ce pas ? »
«  Oui. Marcher ainsi des heures et des heures en donnant une information positive de face, prônant des aliments merveilleux, pour ne pas dire miraculeux, et une autre, derrière, totalement négative, déconseillant d’ingurgiter n’importe quoi... Je dois supporter ces deux lourdes plaques de bois qui labourent mes épaules, et me pèsent terriblement. Voici pourquoi je ne parviens jamais à goûter un bon plat… Je n’ai désormais qu’une envie : tout lâcher, brûler ces horribles pancartes, changer de statut le plus vite possible, et retrouver enfin le plaisir de déguster les mets soigneusement élaborés par des chefs de talent, comme je les aime tant...
KD44♫