Content de rentrer chez lui après une journée harassante, il s’apprêtait à se servir un verre lorsqu’il aperçut en haut du chambranle de la porte de la chambre, une forme noire bizarre, mouvante. S’approchant, il réalisa qu’une myriade de fourmis sortant des coins du haut de l’encadrement, s’éparpillait sur le mur, descendait en file, en duo, en solo : un spectacle sidérant. Du jamais vu à sa connaissance, sauf dans le roman de Henning Mankell « les chaussures italiennes » où ces bestioles avaient établi un nid dans une cuisine. Perturbé, par ces squatteuses, sans produit insecticide sous la main, il chercha une recette de grand-mère sur Google.
N’ayant pas de vinaigre blanc mais du citron et de la cannelle en poudre, il pressa quelques fruits et répandit le jus au pied de la porte. Sans résultat probant, quelques insectes collés dans le suc, et un fluide sirupeux tachant le parquet. Impatient, il saupoudra allègrement la cannelle sur le sol et sur les rebords des boiseries. Pas plus d’effet ! Le flot des insectes était intarissable. Très énervé, s’empara d’une bassine contenant de l’eau et du liquide vaisselle, se planta sur un escabeau, passa un temps infini à recueillir les colonisatrices «formicidae » avec une éponge, vidant de temps en temps ce bouillon noirâtre rebutant. Excédé, il abandonna la partie et but son verre pour se donner du courage. Il était loin du monde des « minuscules » où les gentilles fourmis œuvraient pour leur colonie paradisiaque. Sur internet, commanda des produits pour endiguer l’invasion, prit rendez-vous avec une entreprise de désinfection et alla se coucher dans la chambre d’amis au fond du couloir. Il dormit mal, à chaque moment de réveil, ouvrait la lumière, guettait l’apparition éventuelle d’une colonne de belligérantes stridulantes.
Le lendemain matin, le champ de bataille abandonné par lui et les envahisseuses, figé, empestait d’odeurs composites. Des cadavres de fourmis jonchaient le sol, des taches amalgamées brunâtres souillaient le parquet et les boiseries. La société de désinsectisation confirma son rendez-vous dans la matinée. Rasséréné, il sirotait son café en songeant à sa mésaventure nocturne, lorsqu’une rescapée s’aventura à ses pieds ! « Ah non » dit-il ! en l’écrasant de toutes ses forces avec le pied. !
Zuzanna83