La situation se passe au clos Lucé, dans l’atelier de Léonard de V.
Il y règne un drôle de capharnaüm, de y quoi perdre son latin mais la pièce est claire et aérée, grâce à la grande fenêtre entrouverte. Sur le côté gauche, tout prêt de celle-ci, trône un chevalet portant fièrement un portrait d’homme important.
Le visage est expressif, le regard énigmatique et le traitement du costume est extrêmement délicat. Des pinceaux, les pots de toutes tailles, des bouteilles contenant des liquides colorés sont posés négligemment sur de petites tables et attendent le maître des lieux. Mais ce n’est pas ce coin ci qui nous intéresse ; c’est l’autre côté de la fenêtre, sur la droite, près de l’énorme cheminée dont le feu ronronnant nous offre sa douce chaleur.
Il y a une table à dessin avec, étalé et maintenu par des poids, un plan en cours de réalisation, des outils de traçage, de l’encre et une maquette en balsa. Chose curieuse, il y a également des oiseaux empaillés aux ailes déployées, des croquis de chauve souris et une collection de plumes de différentes provenances. D’autres plans en rouleaux et d’autres maquettes s’entassent sur les étagères faisant face à la table. Chaque plan, chaque maquette représente une idée : il y en a cent, peut être cinq cent, je ne saurais dire tant la pièce en fourmille. Et si vous tendez un peu l’oreille, vous serez surpris d’entendre de curieuses discussions.
- Et toi, ce n’est pas parce que tu es en bas sur la table que tu dois avoir une haute idée de toi
- Vous êtes toutes jalouses car c’est moi que le patron a choisie, je suis la meilleure du moment.
- Un planeur articulé, franchement, ne penses-tu pas que tu es dangereuse ? Le maître pourrait mourir pour toi.
- Mais je suis si originale qu’il se battra pour moi
- En es-tu sure… la poussière qui te couvre montre bien le peu d’intérêt que le maître te porte, franchement, tu es loin d’être bonne
- Tout d’abord, si je suis poussiéreuse, c’est à cause du portrait sur le chevalet. Il doit absolument terminer cette commande pour pouvoir financer ma réalisation. D’autre part, je suis très bonne car je l’empêche de dormir.
- Et comment le sais-tu ?
- Certes, j’ai toujours été un peu illuminée mais là je suis sure que le maître me trouve lumineuse car il vient me voir toutes les nuits, sans allumer la moindre bougie tandis que vous, sur votre étagère, que vous êtes noires !
Catherine 06