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À cette époque, j’avais des rendez-vous trop fréquents chez le dentiste. Je m’y rendais seule du haut de mes 10 ans. Celui-ci avait son cabinet à proximité de la maison de mes grands-parents. J’y faisais une halte pour un petit moment, avant d’entrer chez l’arracheur de dents, ainsi nommé dans mon esprit.


En repartant ma grand-mère attrapait sur son secrétaire une boîte ronde peinte de dessins naïfs, elle l’ ouvrait délicatement et me tendait un caramel enveloppé d’un fin papier. « Pour plus tard, après le dentiste «  disait elle avec un clin d’oeil …
Car une fois le caramel dans ma poche, j'étais prête à accepter les sons désaccordés de la roulette, la bouche grande ouverte avec des instruments piquants et tranchants du bourreau en blouse blanche. J’essayais de fermer les yeux sur le petit crochet métallique, sur la fraise qui entamait un trou et son sourire de père fouettard. Je pensais à la douceur du bonbon dans ma bouche, au plaisir de le laisser fondre sans jamais le mâcher, au sucre caramélisé et la pointe de sel qui lui donnait du caractère. Comment pouvait on inventer une telle délicatesse, dans une aussi petite chose collant aux dents. Après la séance, le dentiste n’oubliait pas de me dire « si tu continues à manger des sucreries, tu auras toutes tes dents pourries «  Merci monsieur, au revoir.
Alors je repartais avec cette injonction, la tête basse, la mâchoire endolorie, au bord des larmes. Je longeais les murs comme une fautive. En passant la grille du jardin, je me cachais dans la tonnelle et sortait de son papier le caramel qui allait gommer toute ma peine.
J’ai encore toutes mes dents, et il m’arrive de m’offrir des caramels Bretons au beurre salé.
SYLVIA 🐿 83