207 -ème proposition. Devant une friterie, dans une poubelle, un vieux papier raconte sa vie.
Acrostiche d’Amour.
Il y a de l’ambiance dans la poubelle de la barraque à frites. La pause déjeuner est terminée et il y règne le fatras habituel. Barquettes, gobelets, serviettes, canettes se bousculent, se pressent, s’invectivent. Une fois que chacun s’est approprié un espace confort, ça papote à qui mieux, mieux.
Un vieux papier Velin collé au fond de la poubelle, depuis des jours à un sachet de mayonnaise éclaté, n’en peut plus des jacasseries quotidiennes de ces déchets gras.
- « Quelle odeur de graillon, toi le cornet pousse-toi, t’as encore des frites au fond du gosier. » dit-il énervé.
- « Calmos, l’intrus. Tu es chez nous, au refuge de la bande des alimentaires. Voyez-vous ça, Monsieur a des mots écrits à la main et un cœur peint. »
- « Un intello qui traine dans les bas- fonds ? s’étonne un prospectus barbouillé de ketchup.,
- « Je suis là contre mon gré, je dois m’échapper réplique le Velin cabossé. Je suis l’œuvre d’un amoureux. Il m’a posé sous le gobelet de son amie puis il est parti cet idiot. Greffée à son téléphone, elle a vu le poème mais un vent farceur l’a envoyé dans le bosquet avoisinant. Elle a essayé de me rattraper mais Eole n’était pas d’humeur agréable. »
- « Une histoire d’amour ! chuchotent en chœur les hôtes de la poubelle, tout ouï. Et alors ? »
- « Elle ne m’a pas retrouvé, Elle ne me méritait pas d’ailleurs ! Je suis resté sous un buisson, un sanglier m’a piétiné. Un groupe de jeunes nettoyeurs bénévoles m’a relevé et j’ai atterri ici. »
- « Quel dommage ! tu n’es pas fait pour le recyclage ! »
- « Ce soir, c’est le ramassage des containers, dit le cornet, je te décolle avec mon bout pointu, tu seras évacué avec nous, ensuite tu la joues solo ! Une serviette encore proprette le nettoie et le bichonne. – « Tu vas emballer mon cher ! »
Tôt dans la soirée, les éboueurs s’activent près de la friterie. Lors de la manipulation du container, une poussée inattendue le déstabilise, le Velin s’envole et s’étale sur la terrasse. - « Enfin de l’air » dit la rose qui rosit. Les mots de l’acrostiche imprégnés des sentiments de leur auteur se gonflent d’amour. Une fille en trottinette, s’arrête en voyant la belle feuille de papier ornée d’une fleur, s’installe sur le banc devant la friterie, lit le poème. Elle est émue. Soudain, un garçon le lui arrache des mains. - « Il est à moi ». - « Il est magnifique » dit-elle en lui faisant les yeux doux « On se fait une frite, Roméo ? » Zuzanna 83.