236ème
La grenouille en équilibre sur une feuille de nénuphar me raconta une drôle d'histoire.
Il était une fois une jeune et jolie princesse. Comme toutes les princesses bien conditionnées de son temps, elle pensait devoir attendre l’arrivée de son prince charmant pour commencer à se réaliser. En attendant, elle avait pris l’habitude de partager sa frustration et son impatience avec sa duègne.
« Gudrun, je me morfonds ! J’en ai ras la coiffe des cours de luth, de flûte et de tambourin. Mon professeur de musique est un cuistre qui ne comprend pas les aspirations de mon âme. Ah ! Quand viendra mon prince ? Devrai-je encore patienter longtemps ? Père me répète à l’envie : ‘’tel est le sort de toute princesse’’. Une part de moi se rebelle en entendant ces paroles ». La duègne, tout de noir vêtue et à la solde du roi, ne l’écoutait que d’une demie oreille, attendant que l’orage passe.
« Gudrun, je n’en puis mais. Je tourne en rond toute la journée dans ce maudit donjon tel un animal sauvage en cage C’est assez ». La duègne n’eut alors que le temps de saisir sa pelisse pour s’élancer aux trousses de sa protégée. Celle-ci vola sur les marches du donjon et poussa la lourde porte. Enfin dehors, elle huma à pleins poumons l’air vif du matin. Elle traversa la cour au pas de charge. Arrivée au portail principal, elle s’arrêta devant les deux gardes et leur somma d’une voix péremptoire : « Je suis la princesse Guenièvre, ouvrez sur le champ ». Médusés par son port royal et tant d’assurance, les deux hommes s’exécutèrent avec hâte. Gudrun se faufila derrière la princesse.
Cette dernière poussa un cri de délice une fois le pont franchi. La nature splendide s’offrait à tous ses sens. Elle se remit à courir. Lorsque Gudrun, toute essoufflée, la rejoignit, elle était agenouillée près d’un étang, une grenouille verte dans la main. Gudrun fronça du nez et manqua de s’évanouir en entendant le batracien s’exprimer dans une langue parfaite.
« Belle Damoiselle, vous vous imaginez qu’un baiser de votre part me transformera en prince charmant éperdu d’amour. Vous vous méprenez au plus haut point, ma Mie. Je suis grenouille 2.0 de la nouvelle génération, mandatée par le Divin pour vous ouvrir les yeux et vous ramener à votre nature profonde. Votre réalisation sur Terre ne dépend pas du pouvoir d’un homme. Vous êtes la souveraine de votre propre royaume intérieur et de votre destinée, ma Douce ».
C’est alors que, sur un mot magique, la grenouille disparut dans un nuage étincelant et la princesse se transforma en prince charmant.
Françoise 83