Vous musardez, vous livrant à la paréidolie que vous inspire la forme des nuages. Allongés sous un chêne, avec cette personne que vous connaissez à peine, vous êtes redevenus des enfants. Depuis combien de temps n’avez-vous pas contemplé le ciel, couché sur le dos, en pleine nature ?
Votre partenaire, pour ce retour à l’innocente contemplation de la nature, joue le rôle de témoin complice. Sa voix flotte au-dessus de vôtre épaule, sans que son corps soit en contact avec le vôtre. C’est une étrange situation, un moment suspendu, désincarné, sans enjeu, ni pression.
Leurs murmures, portés par le vent du soir, accompagnent leur rêverie commune. Ils jouent à reconnaître des formes familières en observant la nébulosité mouvante. Avec le vent, une tête de loup dans un nuage peut rapidement devenir une vieille femme au tricot. C’est une autre façon d’habiter le monde, en faisant un pas de côté. Le fait d’observer les mêmes signes est une preuve de synchronicité, par deux esprits connectés. Les grands esprits se rencontrent, par l’interprétation des formes aux frontières mouvantes.
La lune naissante dessine dans le ciel, un relief particulier. Voici une forme étrange: on dirait un oiseau aux ailes repliées, prêt à s’ébrouer. : « Que vous inspirent… ces silhouettes que vous inventez ? » reprit une voix, proche, si douce.
Il a l’impression que ce timbre lui est familier. Pourtant, ils n’ont fait que déjeuner côte à côte, par hasard, dans ce restaurant. Puis, ils avaient sympathisé, pris le dessert ensemble, avant cette promenade commune. Sa voix est une sorte d’écho intérieur, une présence douce. Une manière de se parler à soi-même lorsque le silence est trop pesant. Ensemble, ils construisent un monde où les choses ne sont jamais exactement ce qu’elles paraissent. Un moment où l'on peut encore s’étonner.
Peu à peu, l’oiseau se dissout dans la nuit naissante. Ils se demandent s’ils l’ont rêvé. Ce n’est pourtant pas une erreur : juste cette capacité secrète à habiter le réel avec un peu plus de poésie que d’habitude. Il sourit de cette capacité à interpréter le ciel mais il sent la fraîcheur du soir tomber en cette fin de journée. Nos deux amis décident de rentrer.
Il se retourne, surpris. Personne. Juste les arbres, immobiles, et cette allée de gravillons qui crépitent dans sa marche solitaire. Les choses ne sont décidément toujours celles que l’on croit.
Nicolas - Les Esterets - 83
