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Les enfants ont de tout temps eu un rapport particulier avec les animaux. Le mien a bien sûr évolué avec l’âge. J’ai eu une période « chiens perdus sans collier », puis « non à la corrida », « sauvons les orques du Marineland » et bien sûr « les abeilles oui, les pesticides, non » ! Mi animiste, mi adepte du panthéisme, j’aurais pu être adepte du druidisme eussé-je vécu au temps d’Obélix !

La constante, ce sont les passereaux, dans mon jardin ils me visitent selon les saisons et rythment le temps qu’il fait. Ainsi, l’hirondelle et son cousin le martinet sont un peu en avance sur le printemps, à eux se joignent le coucou, le guêpier, la mésange ; j’ai même eu la chance trois années de suite, d’entendre un rossignol entre fin mai et début juin, sans jamais l’apercevoir néanmoins. Mes préférés sont peut-être les rouges-gorges, les moins farouches, du moins avec moi, l’un d’eux venait même manger dans ma main ! Il y a eu ce magnifique couple de hérons venus nicher non loin de chez moi, jusqu’à ce que le terrain serve d’atelier-exposition à un sculpteur. Ainsi j’ai longtemps commencé mes journées par un petit tour au jardin, non pas pour y cueillir du romarin, mais pour nourrir mes petits amis ! En Algérie, il était courant d’avoir des canaris, on m’en avait offert quand j’étais gamine mais je n’aimais pas les voir en cage, j’avais pris l’habitude de les libérer dans ma chambre et ils voletaient librement, jusqu’au jour où ma sœur ayant ouvert ma fenêtre, le couple en a profité pour retrouver sa liberté !
Je n’en éprouvai pas vraiment de peine, au contraire, l’oiseau n’est-il pas un peu, (surtout...) symbole de liberté ? À Alger, on aimait aussi beaucoup les chardonnerets, les « maknines », ces jolis passereaux aux multiples couleurs et au chant si mélodieux, trilles, vocalises, roulades, au point d’en faire un chant chaâbi, « ya maknine ezzine », et le symbole de liberté du peuple algérien. Quant au « Chant du chardonneret » de Seham Boutata, cet oiseau y est proclamé « l’âme de l’Algérie », en particulier celle de la dignité des femmes : durant la décennie noire, au début du Hirak, elle établit un « cousinage » entre les cages des maknines et le manque de liberté des femmes.
En ce mois de novembre si doux, je continue à aller faire mon petit tour matinal pour accrocher quelques boules de graisse dans la haie en prévision de l’hiver. Et ce matin, l’oiseau est venu, confiant, siffler à mes oreilles ! Que dis-je siffler, « twitwitter » plutôt, en inclinant sa petite tête rouge noire et blanche, comme pour mieux me faire entendre son message : pas de censure entre lui et moi, et sa liberté de chanter c’était comme un écho à la liberté d’expression du peuple qu’il incarne. Il est resté à virevolter tout près de moi, puis s’en est allé porter son chant délicieux dans d’autres jardins.
L’anecdote a trotté dans ma tête jusqu’aux infos du soir où j’ai entendu un journaliste annoncer la libération de Boualem Sansal. « Halleluja » ! C’est presque ce à quoi a tout à coup ressemblé le chant de mon chardonneret-messager de ce matin.
D’où cette idée que peut-être, dans quelques années, Boualem Sansal sera à l’Algérie ce que Victor Hugo est à la France…

Ghyslaine
Fréjus, 83600