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Madeleine médite près du vieux puits abandonné. Un peu à l’écart du village, elle cherche le silence et se confronte à son vide intérieur. Elle aussi est à sec, entre le monde des vivants et tous les morts qu’elle pleure depuis trop longtemps. Son inconscient est attiré vers la terre, par ce trou sans fond. Elle veut oublier son passé, ne sachant plus si le vide est pire ou meilleur que les souvenirs.

Trop ou plus assez de mémoire, elle ne sait plus. Un sursaut de conscience la pousse à ne pas se laisser tomber dans ce vide mortel. Elle se redresse soudain et se dirige vers l’autre puits, celui du village, lui, porte la vie.

Les cris des enfants résonnent entre les murs de la place centrale. Ils s’éclaboussent joyeusement et s'éparpillent en riant, puis reviennent prudemment vers le puits. Un jeune homme, étudiant en science sans doute, évalue sa profondeur. Il chronomètre le temps que mettent ses petits cailloux à toucher l’eau. Deux femmes discutent en tirant leur eau pour faire leur vaisselle du jour. Elles discutent bruyamment tout en dispersant les enfants. Tout le monde se connaît au village. Chacun sait aussi le danger pour les enfants de s’approcher de ce puits, surtout depuis le drame.

Puiser de l’eau va apporter à Madeleine le renouveau qu’elle recherche. Hydrater et laver son corps, mais aussi peut-être, y trouver l’eau de sa propre source. Elle a besoin de ce contact avec le monde, tout en se sachant la paria de sa communauté. Méditer seule ne lui suffit plus, il lui faut affronter le regard des autres. Ces regards posés sur elle sont obliques, sauf ceux des enfants, innocents et celui du vieillard assis sous le marronnier, le regard dans le vide et un petit sourire aux lèvres. Il est touchant. A quoi pense-t-il ? Aux jours heureux qu’il a vécu avec la femme de sa vie, partie avant lui ? À la ronde du temps qui passe et qui revient, comme ce seau descend au fond des ténèbres, puis remonte avec son chargement gorgé de vie ? S’il descend lui aussi, dans les tréfonds silencieux et insondables de son âme, y trouvera-t-il une vérité belle à voir ? A-t-il toujours été un bon mari ?

Un homme se tient derrière Madeleine et l’interpelle. Elle sursaute, se retourne et reconnaît l’instituteur qui s’assoie à côté d’elle.

- Comment vas-tu Madeleine ?
- Je reste tourmentée par ce qui est arrivé.
- Ça fait longtemps, tu as le droit de vivre
- Je me sens coupable pour mon frère.
- Ce sont tes parents qui étaient chargés de le surveiller.
- Ils m’avaient demandé de rester avec lui et il m’a échappé un instant.
- Tu sais, les enfants font des bêtises, le puits est attractif et mystérieux pour eux,
- Si j’étais resté près de lui, j’aurais pu le retenir et mes parents ne seraient pas morts de chagrin.
- Ne reste pas au fond du puits avec ton frère, ni sous terre avec tes parents. Remonte à la surface et dans la lumière. Tu peux le faire, comme on tourne lentement la manivelle pour ramener le seau.

Par Nicolas Thébault - Les Esterets - 28/10/25