J'ai longtemps rêvé de grimper à l'échelle… Enfant déjà, j’étais le plus habile pour atteindre notre cabane dans les arbres, à l’aide d’un réseau de cordes à nœuds. A l’école c’était bien moins brillant. Mes parents me parlaient du risque de déclassement social. Ils disaient :
Que va-t-on faire de toi si tu ne vaut pas mieux que nous !
Alors, à seize ans j’ai tout quitté pour monter à Paris et réussir. Mes débuts ne furent pas glorieux. Un petit job de manutentionnaire et une minuscule chambre de bonne dans les combles. Mon rêve a toujours été bien plus élevé que ma condition du moment.
Pour aller plus vite dans ma carrière, j’ai misé mes maigres économies sur mon apparence. Un costard de riche pour viser un poste de vendeur dans une boutique de luxe. Mon anglais est devenu courant en quelques années au contact de mes collègues de toutes provenance. J’ai fait illusion, vendu des montres en or à des magnats du pétrole, à Paris, puis sur la côte d’azur.
Cela m'a permis d’aller beaucoup plus haut en me demandant d’assurer le gardiennage de leurs yatch, puis de m’occuper de leur personnel à bord. Mes qualités de commercial ont fait que de fil en aiguille, j’ai vendu leurs bateaux et en ai acheté des plus gros, pour leur compte.
En plus d'énormes commissions engrangées, ils m’ont fait crédit pour me permettre de me payer un premier rêve, bien à moi. Un énorme “vingt mètres” à plusieurs millions d’euros, que j’ai mis en location, toute l’année. Il a été très vite rentabilisé et amorti, alors j’en ai acheté un deuxième, puis un troisième, avant de m’attaquer à la catégorie superyacht. On parle de plusieurs dizaines de millions d’euros. Rien ne pouvait m’arrêter, j’avais réussi à grimper tout en haut de l’échelle.
C’est pourtant au sommet d’un mât, alors que je vérifiais le fonctionnement des caméras panoramiques, que je suis tombé. La chute de plusieurs dizaines de mètres a certes été amortie par les voiles et les cordages, mais mon corps, disloqué sur le pont, comme un pantin désarticulé, ne bougeait plus.
Après six mois de coma et trois ans d’une laborieuse rééducation, plus question de grimper à l’échelle. Je marche difficilement, mon cerveau a des séquelles de l’accident et surtout, tous mes amis ont disparu. Pendant mon absence, tout mon patrimoine a été vendu pour payer les dettes qui s’étaient accumulées.
Je me suis alors souvenu de ma famille, des copains avec qui nous grimpions dans notre cabane. Après les avoir délaissé pendant tant d’années, je suis revenu au village, avec mes remords Leur demander pardon a sans doute été l'échelle la plus haute à gravir.
Nicolas - les esterets - 83
