Je les voyais danser ces mots sur la feuille, se nouer en jolies phases…… puis s’enfuir aussitôt, comme des oiseaux effarouchés par une bruit soudain. Il y a encore peu, ils m’obéissaient docilement, les mots. L’écriture était mon refuge. Le seul mode d’expression intact, que mon corps me laissait encore. Aujourd’hui, ils m’échappent. Ils tremblent, dansent, se confondent comme pour se moquer de moi.
Je relis mes vieux carnets noircis de cette écriture fine, qui me caractérise. Il y a tant de volumes alignés sur la table, que l’on dirait une encyclopédie. Ce genre de collection que l’on arbore fièrement dans sa bibliothèque, mais que personne ne lis jamais. C’est un héritage immatériel précieux à mes yeux, même s’il n’intéresse déjà personne de mon vivant, même pad ma femme et encore moins nos enfants.
Des années d’écriture qui me sont devenues incompréhensibles, comme si un autre avait envoyé valser les mots. Ils sont retombés dans le désordre, au sein de mes carnets jaunis, ou par le prisme de mon cerveau. Le médecin dit que ce n’est “pas grave”, “c’est l’âge”, il faut “stimuler la mémoire”. Alors chaque matin, j’essaie de m’écrire à moi-même, comme je l’ai toujours fait, mais à la manière d’un écrivain qui chercherait à se retrouver dans le brouillard. Les mots dansent, oui, mais autour d’un vide. Faut-il les laisser faire.
Je m’accroche au mot “amour” qui voletait autour de moi, comme un joli papillon. Il m’a emmené vers les mots été, fleurs, mer, beau, chaleur, robe, vent … En me laissant porter par les mots que je croisais, lors de cette jolie farandole, les mots retrouvent une cohérence. Sans doute pas autour de phrases élaborées dont j’avais l'habitude. Mieux que ça. Des souvenirs entiers se sont réveillés grâce à la danse des mots contre laquelle je ne lutte plus, mais qui me porte désormais. la plage, le café du port, le premier manuscrit lu à voix haute.
Tout est revenu d’un coup, comme une marée qui renverse la digue. constituaient un merveilleux tableau de mes souvenirs, plus vrai que nature et dans lesquels je me plonge désormais, avec délice. Les mots, même fuyants, gardent une mémoire que la mienne n’a plus. Peut-être que demain, en les voyant danser à nouveau, je retrouverai un autre été, un autre visage, une autre part de moi.
Nicolas - 15/10/25 - Esterets
