logo esterel

Dans la ville de Saint-Espoir, les heures se portent sur soi, sous la forme d’un bouquet lumineux qui s’étiole au fil du temps. A mesure que les jours passent, les enfants aux brassées éclatantes, parfument l’avenir. Les jolies filles embaument le présent de subtiles fragrances, à leur apogée. Les hommes se soucient trop peu, pour la plupart, de leur potentiel qui s’écoule et vivent comme s’ils allaient mourir demain. Les vieillards partagent généreusement d’odorants pétales, pleins d’expérience et de promesses d’avenir. un concentré de vie.

On dit que les fleurs naissent du cœur, nourries par les souvenirs et les joies. Quand la peine s’installe, les pétales se fanent plus vite.

Sylvie, jeune mère, a fait de mauvais choix dans la vie. Mariée à un homme violent et jaloux, elle vit cloîtrée dans sa maison et ne fait qu’élever ses deux garçons. Sa plus grande peur est qu’ils ressemblent à leur père en grandissant. Elle regarde ses fleurs s’éteindre trop tôt. Chaque matin, son bouquet perd une corolle, comme si le temps, avide et sans pitié, accélérait pour elle seule. Elle cherche désespérément un remède. Une nuit, guidée par une rumeur, elle se glissa hors des murs, en silence, jusqu’au Jardin Interdit des Heures Lentes. Là, poussent les fleurs de minuit, noires et veloutées, capables, dit-on, de ralentir l'obsolescence du bouquet de celle ou celui qui prend le risque de les cueillir.

Il y a une contrepartie à ce pacte : accélérer l’existence d’inconnus.

Malgré le risque encouru, elle en cueille une, tremblante. Au moment de la serrer contre elle, son bouquet s'enrichit de fleurs fraîches, comme par miracle, mais un souffle d’ombre lui montre une vision d’horreur : Ses enfants, endormis, dont les bouquets flamboyants se dénudent brusquement de moitié. Elle comprend alors son erreur et regrette, mais il est trop tard.

Pourquoi, se dit-elle, les poètes nous encouragent-ils à cueillir les roses comme on cueille les heures, dès aujourd’hui, sans attendre demain ? N’est-il pas préférable de les chérir et les admirer, en leur donnant un environnement favorable ? Elles sont si belles à regarder dans leur jeunesse, leur apogée et restent jolies jusqu’à leur déclin, par le tapis de pétales odorantes du souvenir de leur vie, qu’elles ont encore à offrir.

Pour Sylvie, le mal est fait, il est trop tard. En rentrant, elle répare son erreur en garnissant le bouquet de chacun de ses fils avec la moitié du sien.

Nicolas Thébault - Les Esterets - Var