logo esterel

Je le côtoyais à la chorale, nous avions des tessitures assez proches. Il venait après le boulot, avec sa tenue de cantonnier. Son travail pour notre petite commune était polyvalent. Parfois il sentait l’odeur du goudron après avoir comblé les nids de poules.

A la fin du printemps, il était couvert de résidus d’herbes et de fleurs des champs, lié au fauchage des abords de nos voies. Il aimait faire des choses utiles et concrètes. Il prévenait les accidents, les incendies et même trouvait les mots pour résoudre les conflits de voisinage.

Il a tout de suite attiré ma sympathie pour sa simplicité souriante et sa joie de vivre il m'impressionnait par sa connaissance des paroles de chaque chanson de notre répertoire. Il n’avait pas besoin de support pour chanter, alors que n’arrivais à apprendre une seule de nos paroles par cœur. Comme les enfants, il avait une capacité à retenir les textes après quelques lectures. Je ne pouvais même pas mettre cela sur le compte de sa jeunesse, il avait la cinquantaine heureuse et moi à peine dix ans de plus.

Les autres membres du groupe ne le voyaient pas comme moi. Lui et moi étions baryton et basse en bout de chaîne, les hommes sont de loin, les moins nombreux. Tous les milieux sociaux se côtoient dans un chœur et on peut ressentir les différences à travers le regard, l’attention portée aux autres, les signes extérieurs de richesse. Les femmes pour qui nous avions le plus d’estime étaient femmes de ménages, assistantes maternelles ou personnel de gériatrie. D’autres restaient entre elles, les notables du village. A ma pause, je les entendais murmurer à propos de mon ami Paul : “Il ne doit même pas savoir lire”.

A quoi bon les démentir, cela ne changerait pas leur attitude de caste. Moi je sais qu’il lit un livre par semaine, qu’il a écrit de nombreuses nouvelles primées et même des paroles de chansons qui passent à la radio.

Ça me suffit de le savoir et je suis fier d’être ton ami, Paul.

Nicolas des Esterets - 83