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En classe de CE1, elle avait du mal à déchiffrer les syllabes. Elle ânonnait péniblement. Tout le monde se moquait d’elle. Surtout lorsqu’elle disait à la maitresse qu’elle voyait les mots se tordre et les lettres s’échapper comme des vermisseaux.

Dans les années soixante, la dyslexie n’était pas diagnostiquée, on n’envoyait pas un enfant chez l’orthophoniste, métier balbutiant. Humiliée, critiquée, avec le bonnet d’âne pour récompense régulière, elle ne revint plus à l’école. Fille unique de paysan, on n’attacha pas d’importance à ses problèmes scolaires. Ce n’était pas la priorité de ses parents, on avait besoin d’elle à la ferme, où elle était heureuse avec la nature et les animaux. Son éducation livresque se résumait à quelques bandes dessinées. Elle déchiffrait les bulles en s’aidant du dessin, lisait les gros titres du journal local avec sa mère également illettrée, compulsait des livres jeunesse qu’elle achetait lors de la sortie familiale à la ville.
Ses parents vieillissants, elle intervenait de plus en plus dans la gestion de la ferme, malgré son handicap de lecture car elle était très à l’aise avec les chiffres. Ils ne se distordaient pas comme les lettres, elle les maitrisait avec brio.
Son père embaucha un jeune étudiant agronome, souhaitant à terme lui céder l’exploitation.
Le jeune homme qui dinait quelquefois avec la famille devina que la fille du patron ne savait pas lire. De façon anodine, Il lui parla des cours de perfectionnement qu’organisait la mairie et vanta leur qualité. Lui-même y améliorait son anglais. Souffrant depuis si longtemps de son handicap, séduite par cette information inopinée, elle alla se renseigner dès le lendemain. Des personnes généreuses intéressées par son cas lui vinrent en aide. Elle suivit des séances d’orthophonie, et après quelques mois laborieux maitrisa la lecture et l’écrit. Oubliés les réprimandes et les jugements scolaires. Elle ressentit pour la première fois la fierté d’être complimentée pour ses résultats. Boostée par la découverte des trésors du dictionnaire, se passionna de mots, de lectures, d’écriture grâce à un environnement bienveillant, une motivation personnelle et l’amour d’un jeune homme qui était arrivé à point nommé, pour la libérer de sa vie de belle aux champs dormants et lui offrir un avenir inespéré.

Zuzanna 83