L' épouvantail à moineaux s'est fait la malle.
Ça ne me surprend pas plus que ça. Haut perché comme il était, il ne faisait pas grand chose. Tout petit déjà il avait fait son choix :
- moi j'f'rai peur, voleur de soupe, massacreur de p'tits pois, assassin de limaces... J'sais pas bien quoi, mais j'ficherai la trouille !
Rien que de voir leur binette à ces effarouchés ça me réjouit le cœur. Alors dès qu'une place se libère je fonce..
Ça y est c'est fait, j'y suis.
Il faut voir comme ils m'ont attifé ! Avec le pantalon en velours côtelé de l'oncle Félix la chemise à carreaux du vieux Léon et le chapeau claque de mariage du pépé Ernest. C'est pas difficile à moi tout seul je représente tous les mâles de la famille. Tiens je devrais figuré sur l'album photos ! C'est peut être pour ça que la Marie, qui est un peu bigleuse, vient me cajoler le soir tombé, je dois lui rappeler des souvenirs !
C'est pas que je sois coquet mais le jour où on a voulu m'enlever mon froc pour rhabiller le Félix qui venait de passer l'arme à gauche et l'emmener au boulevard des allongés, j'ai vu rouge et je me suis dit... Il faut que tu te fasses la malle Joli Coeur -c'est comme ça qu'ils m'ont baptisé- car le Léon est dans les mêmes âges d'ici qu'ils te défrusquent de la liquette aussi y a pas loin ! C'est pas parce qu'on fait peur aux merles qu'on n'a pas sa dignité. J'ai intérêt à me carapater vite fait sur mes échasses ! Que serait un épouvantail à poil même de balai ?
Il ne me resterait plus que le fichu de la Fanchon, un joli carré de soie rose parsemé de fleurs des champs qu'elle m'a noué autour du cou le soir de la Saint Jean... Ah la Fanchon ! Une bien jolie fille... Parfois je me mets à rêver... Mais qui se soucie des rêves d'un pauvre effaroucheur de moineaux ?
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