C'est un château, un vrai de vrai avec des escaliers en forme de vis qui mènent tout en haut des tours. Et de là haut, derrière ses créneaux, je vois au bout des prés, dans la forêt encore peu épaisse des chevaliers qui guerroyent à coups de chats à neuf queues que j'entends rebondir bruyamment sur les boucliers. Les chevaux, recouverts de housse de poitrail, une jambe en l'air piaffent en évitant les orions.
En redescendant, la première petite porte s'ouvre sur une enfilade de pièces dont les murs se protégent du froid par des tentures tout aussi immenses que les précédentes et qui relatent des combats qui ont fait date dans l'histoire du pays. Le seigneur, le mien bien sûr, est à l'honneur au centre de la scène, la hache levée il affronte courageusement l'ignoble voisin qui lorgne 'notre' duché.
En bas, dans la salle d'armes je vois des cruches en étain, des hanaps de vin certains renversés témoignent d'un départ précipité.
Une porte dissimuléé me happe, un tunnel sinueux me ramène dans l'atelier de réfection de tapisseries de haute lisse et de vêtements d'époque installé dans une piece basse. Chaque point me rapproche intimement de mes héros. Cette broderie me permet de poursuivre mes rêves moyenâgeux et je caresse d'un doigt tendre le point qui fermera le pourpoint de mon puissant châtelain. Je travaille actuellement sur le mariage du duc et de la duchesse. La mariée n'a pratiquement plus de visage tant la tapisserie a perdu sa couleur. Alors, sans rien dire, je décidais de me représenter moi-même sous le henin brodé d'or et de perles. Ainsi moi, la brodeuse du Quercy, j'aurai aussi participé à l'histoire du château et de sa région en posant dans ma robe de brocard avant de me donner corps et âme à mon vaillant seigneur.
A chacun son château en Espagne...
🐭 La Souris 83