logo esterel

Les arbres, secoués par le vent, ont lâché leurs feuilles maintenant sur le sol éparpillées.

Une rutile au milieu des autres, c'est l'unique pousse du prunus d'or. Il se dit qu'il y a un bon demi siècle, un soir les anciens auraient vu dans le crépuscule l'oiseau de la richesse lâcher son œuf doré dans le jardin public. De cet œuf magique serait né un petit arbre assez chétif, pas très joli, d'une couleur indéfinissable et dont sa seule ramure donne chaque année une feuille d'or.
Vous dire si elle est convoitée car, du temps qu'il m'en souvienne, sa cueillette donne lieu à un rituel, une sorte de fête sacrificielle. Cette journée-là on tire au sort le nom de la famille qui aura la charge et le bénéfice de l'ensevelir l'année suivante. Les vieux disaient : il paraît qu'au bout d'un certain temps, d'une feuille plantée au crépuscule naîtrait l'arbre qui ferait la fortune de la famille élue.
Ce rite rassemblait autant qu'il divisait en suscitant la jalousie. Il n'était donc pas nécessaire de créer un cordon de surveillance, les ''héritiers'' montaient la garde les trois cents soixante quatre jours qui suivaient et les nuits aussi.
Mais là, le village était désemparé, le vent les avait devancés... La famille élue était sur les dents... La sépulture déjà prête, le cidre était tiré et pâtés et tartes aux pommes attendaient dans les tourtières. Privés de liesse les villageois regardaient dépités le souffle malin diriger le convoi de toutes ses feuilles mortes qui descendait inexorablement jusqu'au fossé bordant le ruisseau. Cette aubaine serait-elle perdue ? La vieille Eugénie presque centenaire- la doyenne qui devait justement recevoir ce cadeau annuel- partit à toute allure dans son fauteuil roulant et, suivant la pente, elle et les feuilles arrivèrent quasiment en même temps. Elle hurla de joie ! Se baissa pour ramasser le joyau qu'elle serra sur son cœur. Mais, déséquilibrée par le geste elle tombèrent toutes deux dans l'eau glacée.
Eugénie ne s'en remit pas et on les enterra toutes les deux comme il se doit le lendemain soir aux derniers rayons du soleil couchant.
Dans le calme religieux de la cérémonie un bruit d'ailes fit lever les têtes... À peine s'ils discernèrent l'oiseau qui, au dessus du village tournait... tournait.. nul doute, c'était bien la poule aux œufs d'or...
🐭 La Souris 83