Première interprétation du sujet : Est ce un tableau ou une photo! Une femme dans une barque semble désemparée
176/???? TROUVAILLE
Gamin, c'est est en allant chercher un pot de cornichons que je l'ai rencontrée accrochée sur le mur du fond du garde-manger entre la motte de graisse, les haricots verts au sel et les maquereaux au vin blanc. Seule sur la photo, une femme dans une barque encadrée de doré comme si le lac reposait sur des pots de confiture.
Elle avait été remisée dans ce placard et je me demandais bien pourquoi et depuis quand. Pour surveiller les denrées ? Je voyais mal les haricots verts prendre la fuite et le gras rejoindre son quartier de cuisse d'origine. En tout cas, j'étais séduit par le mystère qui émanait de cette femme claire pagayant courageusement toute seule sur l'eau sombre et sous un ciel d'ardoise. En catimini j'allais chaque soir admirer ma muse ; pour ça j'escaladais un pot de grès afin de dégager les boîtes de conserves derrière lesquelles elle disparaissait. Une fois la place nette, je sautais m'asseoir sur le couvercle d'une haute jarre en terre cuite qui sentait le choux saumuré; la tête dans le creux de ma main, je contemplais la divine, fasciné par sa beauté.
Le bras tendu sous la soie de son chemisier dans l'effort de maintenir la rame à peine enfoncée juste à la surface du lac, le visage tourné vers moi, j'étais sûr qu'elle me voyait. Nous passions ainsi des heures à rêver en nous regardant. J'échafaudais des plans magnifiques et chevaleresques pour la rejoindre, avec un certain courage toutefois ne sachant pas nager. J'ai peur de l'eau. A la vue des ondes qui serpentent autour de la rame, il ne fait aucun doute qu'elles n'hésiteront pas à m'enserrer jusqu'à me broyer les os dans leurs anneaux. Perdu dans mes idées romantiques j'entendis un bruit qui résonna comme un appel au secours et en tout cas qui me sortit de ma rêverie. Tout à coup j'ai vu la barque quitter sa ligne d'horizon, proue en l'air, prendre la gîte à bâbord pour, en se décrochant du mur, sombrer dans les haricots et les oignons. Je descendis de mon perchoir à songes et plongeais dans les réserves secourir ma muse. Après l'avoir débarbouillée des toiles d'araignées je constatais qu'elle ressemblait en plus jeune à la sœur de grand-mère Arlette décédée depuis peu.
Au dos, d'une écriture bien ronde était enroulé dans un cœur : à mon Jules adoré pour la vie. Jules ! C'est justement le prénom de mon grand-père. Ça m'intriguait et lorsque à table je montrais mon trophée, ma mère devint rouge, mamie en pleurs et papi resserra son nœud de cravate d'un air dégagé comme pour faire son collet- monté. La dernière fois que je l'avais vu comme ça c'était au retour d'une chasse où il avait d'un seul coup à battu deux bécasses.
Moi, on m'expédia me coucher sans explication ni dîner et de ma vie je ne revis mon égérie.
????La Souris